Allant à un concert de pop-folk, même si Clairo a 21 ans, je m’attendais à avoir un public générationnellement mixte. Malgré le sold-out rapide, je n’avais pas conscience du phénomène que représentait l’américaine. Mais j’y suis confronté en rentrant avant même le début de la première partie dans une Orangerie déjà bien remplie : je suis plus proche de l’âge des darons et daronnes que de l’écrasante majorité des spectateur.rice.s.
Laundry Day, groupe new-yorkais de pop juvénile, recueille plus qu’un succès poli. « C’est frais » et « ça ne mange pas de pain » sont les formules qui me viennent à l’esprit. C’est un peu incolore aussi. Mais ce n’est pas bien grave.
Dreamer Boy leur succède pour une deuxième partie, et là c’est beaucoup plus gênant. Physique de surfer, sourire Pepsodent, bonheur ostentatoire, sa présence entière a quelque chose de putassière. Et son hip-pop autotuné est d’une fadeur tellement forte que ça en devient écœurant. Le guitariste qui l’accompagne est tellement là pour faire de la figuration que je me demande même si son instrument était branché. Je suis un peu désabusé de voir que cette soupe transparente fonctionne pourtant auprès du public décidément très (trop) enthousiaste ce soir.
Alors, je vais chercher une bière. Au bar, je suis assez amusé de constater que le rappel légal de la limite d’âge de la vente de boissons alcoolisées a été rajouté en grand sur un panneau. En plus de 25 années de pratique du Bota, c’est la première fois que je vois ça. Je suis un peu déçu qu’on ne me demande pas ma carte d’identité avant de me servir.
Il y a quelques mois, un peu par hasard, je découvrais Immunity, le premier véritable album de Clairo. Je ne savais rien d’elle mais j’étais immédiatement séduit par la voix fragile et forte, les compositions sur le fil. Puis j’apprends qu’elle est toute jeune, je la vois apparaître un peu partout, encensée par la presse musicale. On annonce sa venue à Bruxelles, et je suis surpris que dans l’offre il y ait aussi des packages VIP avec meet and greet et selfie avec Clairo. Monnayer son image par ce genre de subterfuge me déçoit toujours.
Le merch’ est aussi bien plus imposant que d’habitude au Bota, et je comprends que l’aspect générationnel queer de sa musique m’avait totalement échappé. Elle monte sur scène avec « Alewife », et les cris fusent. Moins acoustique que sur Immunity, elle est accompagnée par une discrète batterie, une guitariste et un bassiste.
Timide, elle sourit. Les chansons s’enchaînent sans temps mort (au total il y en aura 20). Ses morceaux tellement délicats, dont une part de la magie tenait aussi de leur dépouillement, souffrent du traitement plus électrique. Sa voix un peu fluette semble maintenant être un défaut. Mais le public, à chaque passage instrumental, manifeste toujours un enthousiasme sans mesure. Alors quand vient la suite imparable « North », « Bags », « Sofia », c’est à peine si elle a encore besoin de chanter. Elle paraît même un peu mal à l’aise de recevoir autant d’enthousiasme.
Toutes ses chansons sont intimes, et le public qui s’en accapare en en faisant des hymnes leur fait perdre quelque chose. Quand on écoute un disque comme Immunity seul.e chez soi on aime ce dévoilement, on est le doux complice des petites peines de l’autrice. C’est impudique mais on se sent seul témoin des confessions. Quand plusieurs centaines de personnes reprennent en chœur les paroles, le charme est un peu rompu, rançon du succès.
Elle passe tout son répertoire en revue, même les premières compos qui avaient encore plus de maladroite fraîcheur. Malgré que je continue à trouver les morceaux beaux et touchants, je ne peux m’empêcher de ressentir un certain ennui. Clairo manque quand même un peu de présence scénique. Après une heure quinze, elle quitte brièvement la scène, elle ne prolonge pas abusivement la demande de rappel.
En fond de scène, il y a un écran où, depuis le début, on a eu essentiellement droit à des projections de petits nuages et autres paysages, mais au moment du tubesque « Pretty Girl », le clip sera projeté. En webcam, dans ce qui était certainement sa chambre, elle fait des grimaces avec un naturel confondant. Elle est la teenager, la girl next door avec qui on aimerait tou.te.s partager des milk-shakes à la vanille au dinner du coin. Morceau parfait des doutes et des contradictions que peuvent avoir une jeune femme, l’empathie est facile et naturelle. Dommage que le succès soit arrivé si brutalement et l’ait forcé à certainement grandir trop vite.
Fripouille