Une rencontre entre une artiste turque, Gülsun Karamustafa, et celle d’un artiste belge, Koen Theys, est née dans le cadre du programme d’échange culturel Europalia. L’exposition a lieu dans l’ancienne Centrale électrique de Bruxelles située place Sainte Catherine. Seule institution d’art contemporain d’ordre public, elle a été renommée depuis quatre ans par sa nouvelle directrice Carine Fol, « Centrale For Contemporary Art ». Un espace industriel d’une superficie non négligeable mettant en avant aussi bien des artistes belges reconnus que de jeunes artistes émergents dans leur espace Box et Lab. Dans la redéfinition de son identité, la nouvelle directrice a souhaité mettre l’accent sur le lien entre art et société au croisement des cultures. Un objectif poursuivi dans cette exposition.
Mystic Transport établit une relation entre deux cultures différentes, l’une du Nord, l’autre du Sud, mais ayant les même sujets de divergences. La religion, la politique et le contexte historique sont des éléments imprégnés par la pensée des deux artistes, qui sont actuellement remis en question par la société, tout comme la migration. Ce phénomène intemporel qui échoue sur les côtes de certains territoires. Alternant tout aussi bien la vidéo que la sculpture, leurs installations rythment harmonieusement l’espace.
Le voyage commence par l’installation de Koen, Arabian Nights, datant de 2015 et présentée pour la première fois. Elle nous livre une vision féerique de la crise du monde arabe depuis la première guerre en Irak. Sous les codes orientaux des mille et une nuits sont apposés des points dorés, des représentations de satellites ou drones qui survolent la zone de conflit en guerre. À noter que Koen est une artiste vidéaste qui s’exprime depuis peu par la céramique. Les Corner Pieces, 2014 , qui jonchent un peu trop l’espace au risque de le meubler, sont d’une intensité beaucoup moins forte, d’ailleurs presque absente dans la scénographie lumière. Un peu plus loin, Anti–Hammam Confessions, 2010, de Gülsün nous perd dans le dédale des clichés de cette activité où l’artiste, n’y ayant jamais été, se livre à une introspection du monument par un montage d’images provenant de documentaires, au son des gouttes d’eau tombants une à une. Puis on passe dans l’ancienne salle des machines et là s’offre à nous l’imposante installation de 2011 Etiquette de l’artiste turque. Il s’agit d’une table de sept mètres de long montée sur un socle. Elle se trouve volontairement maladroitement dressée d’une vaisselle particulière soulignée de doré, nous conviant aux codes de bienséances par la présentation d’une adaptation turque d’un livre français sur les usages mondains. Une installation qui structure la pièce et la met en espace de façon remarquable, de telle façon que les autres œuvres des deux artistes se répondent entre elles comme un écho ou plutôt un dialogue.
En face, la vidéo datant de 2015 de Koen dont l’intitulé One of us est aussi l’interminable voix off lancinante scandée par des figurants de la procession de Bruges. Le brouillard étrange de blanc immaculé irrite notre œil dans l’obscurité et parvient à mettre le spectateur dans un état hypnotique. Mais ce n’est pas sans passer par l’animation vidéo de Koen The Thousand Faces of Gods, faites d’images de synthèse utilisant la technique du morphing, placée à la limite du plafond, et qui révèle les unes dans les autres des représentations stéréotypées des icônes divines. Enfin, dans l’espace vitrine situé juste à la droite Shrine Online vaut le détour. De magnifiques coqs achetés dans des magasins ou ventes aux enchères sont érigés sur des piédestaux colorés. L’œuvre n’est autre qu’une mise en lumière des problèmes de transport et de douane lorsqu’elles voyagent.
Une exposition à la croisée des civilisations qui nous questionne sur nos rapports à la religion établit depuis la nuit des temps. Immersive, elle est à découvrir jusqu’au 28 février, jour du finissage qui présente d’ailleurs pour l’occasion une performance de la pianiste japonaise Kaoru Tashiro et de l’artiste vidéaste Kurt D’Haeseleer.
Maëlle.D