Étrange nom pour un opéra : espiègle ou bien coquin ? Avec une couverture ambigüe où la nature dévoile une paire de jambes dénudées sans corps, je me laisse tout de même tenter, néanmoins perplexe, par un Janáček dont je connaissais surtout la musique instrumentale plus que vocale. L’histoire parle, dit-on, d’une renarde qui apprend une humanité brute avec beaucoup de sens critique et la rejette au profit de sa liberté, ne voulant se laisser apprivoiser.
À la lecture du livret, sachant la nature qui remplissait la musique du compositeur, je me demandais s’il ne s’était pas imaginé animal. Apparemment il se serait installé dans la forêt et cet opéra, inspiré d’un conte qu’il aurait lu, pourrait être un témoignage de sa propre distance avec les siens. Effectivement son besoin de nature est tel qu’il imite avec sa partition musicale les traits des animaux qu’il a observés. Il aurait d’ailleurs apparemment mené une enquête sur la vie sociale des animaux auprès des chasseurs de sa région. Vivant moi-même dans une forêt dès que j’en ai l’occasion, je comprends par là une nécessité de transcrire son intelligence instinctive et l’incompatibilité de celle-ci avec un monde organisé. Peut-être une dualité entre campagne et ville. Semble-t-il évident qu’il y ait un double-sens à ces scènes… mais quel en est-il ?
La double-lecture… qu’elle fut d’abord politique ou sociale, Coppens l’a utilisée sous un sens très cru. Le cadre prend toute la scène sans plus de devant, de coulisses ou de rideaux. Un puzzle de décors les uns à côté des autres qui, à l’aide de l’éclairage, vont orienter l’histoire. Une curiosité prend le spectateur, voyant déjà l’étendue du terrain de jeu dans l’ombre : il se demande qu’est-ce qu’on va lui proposer comme surprise.
Premier tableau : des adolescents font la pagaille avec un garde de sécurité (interprété par Andrew Shroeder ) avec un beau timbre de voix. Le public semble se demander comment cette innovation va se déballer. Il s’agit d’un décor d’école à la Street art et à l’avant-scène gauche d’une cabine de surveillance. Pour ceux qui ne connaissent pas le livret, impossible de comprendre que ces adolescents sont les animaux. Beaucoup de provocation et de remontrance de la part des jeunes, un essai de fusion avec du hip-hop par le chorégraphe (intéressant mais ne colle pas avec l’œuvre musicale). Finalement Foxie, adolescente reconnaissable par sa chevelure et sa pureté, sort du lot et se fait inviter de manière suggestive par le garde à passer sa porte…
Entre-autre, on se pose déjà la question du désir pour les mineurs d’âge de la part d’hommes mûrs. Mais j’essaie cependant de mettre de côté cette idée et reste accrochée sur l’histoire. L’orchestre mené par Antonello Manacorda (chouette nom pour sa profession) accompagne le tout fort bien il faut le noter ! Même si les cuivres semblent parfois un peu mous et trop présents dans la balance. Elle passe la porte et un dispositif de caméra projetée en live sur l’écran de la cabine nous fait diversion sur un plateau retourné du décor qui maintenant projette une prison pour la renarde. Brillante idée de changement de plan. Mais vient se suggérer peu à peu la perversion d’un enfermement. Là presque plus de doute – le metteur en scène a décidé de nous suggérer le voyeurisme dans l’esclavage. Cela commence à déranger. Et cela va en s’accentuant : elle rentre dans une pièce où un homme nu déguisé en lapin est enfermé. Il n’y a plus de suggestion. On est dans le sexuel, le sadomasochisme et tout ce qui vient avec. Et cela continue. Une douche avec le coq. Les poules deviennent des espèces de prostituées et le livret, en effet vulgaire à ce moment, devient une quête de libération de la femme par rapport à l’homme. Par contre la puissance de la voix de la renarde enchante, menée par la vive Lenneke Ruiten.
La honte s’empare de moi, lorsque je vois devant moi un père attraper ses deux enfants pour les empêcher d’en voir plus. On ne se gêne pas sur scène, des phallus en plastiques sur les personnages etcétéra. Cependant l’œil est toujours convié, l’attention nous mène et le tout est très esthétique par ses couleurs, choix des costumes et agencements. Par contre le fond, l’histoire et la morale… je m’y étouffe devant ce que j’imaginais comme quête de liberté pour le compositeur. Beaucoup de sexe et de violence, les arguments pour décrire la société actuelle ? Dans ce cas, Foxie pourrait porter l’idéal du cœur ? Je suis peut-être trop idéaliste ou romantique. Se comportant plutôt comme une éternelle adolescente en pleine crise d’identité que comme une renarde qui essaie de dénoncer la méchanceté, Roxie trouve son renard, sortant d’une boum dans la cafétéria, qui est en fait une fille. Blasée, inutile de m’attarder sur encore un cliché : le mariage gay. Hé oui… elles se marient et nous miment même leur scène d’amour. Le choix stylistique des cheveux verts du renard colle très bien avec le décor adolescent. Les deux femmes chantent tout de même merveilleusement leur romance Eleonore Marguerre. Un lièvre géant abattu plein de sang pour encore un peu de cruauté jusqu’à la fin où finalement l’histoire se mélange dans la tête du spectateur et l’amène à penser que la mort de Foxie est en fait le rejet de l’hétérosexualité par un homme rempli de désir pour une femme. Heureusement, la scène de la forêt nous remet un peu dans le contexte du compositeur.
Bref, de belles idées esthétique mais une interprétation éthique du fond qui dénature le sens du message et nous comble de clichés. Par contre une très belle interprétation vocale de tous et une orchestration adaptée à ces nombreux changements de tableaux. Le metteur en scène a tout de même su conquérir notre attention en émoustillant le regard (couleur, forme, action), tant par l’esthétique bien choisie des costumes que par sa réalisation d’une scène élargie et fracturée en salles. Un orchestre bien dirigé qui donne son plein vers les scènes finales. Des rôles tenus à merveille pour le contexte, même si la question de morale (doit-on montrer du cru à ce point dans une oeuvre à large public et à fort message social) laisse certains bien froids. Une belle harmonie entre les timbres vocaux de tous les personnages.
Béatrice De Bock