Madame Butterfly de Puccini au Théatre de la Monnaie (01/01 – 14/02/2017)

butterflyCov - CopyCe nom est familier à l’oreille de tous ceux qui apprécient l’opéra car il est devenu une marque. On y retourne pour se faire marquer, mais on en revient parfois dubitatif. Un drame indémodable de Puccini dont une mise en scène trop abstraite peut perturber le contenu émotionnel, véritable vecteur de toute cette œuvre.

Madame Butterfly, c’est tout d’abord la sensibilité intérieure d’une femme qui transpire d’aspiration en l’amour et la dévotion. Ancienne Geisha, elle se marie à un américain avec lequel elle s’accroche au grand amour, avec tout le sacrifice qu’il requiert, et vit la désertion d’un voyageur qui s’est attaché à elle par opportunisme et confort, par exotisme même. Qui retourne à sa patrie, sans plus de responsabilité ni de soucis de ce qu’il laisse derrière lui. C’est le drame de deux existences qui se rencontrent et dont l’une, fidèle, s’attache et l’autre, peu consciente, se laisse aller. Une histoire tellement moderne aussi… de deux cultures qui s’enlacent et se séparent, rendant ceux qui l’arborent étrangers à leur passé, décalés… et encore plus détachés de leur réalité. Ceci devient le cas de cette femme. Tellement aveuglée par ses projections de bonheur, qu’incapable de voir le moindre défaut ou doute dans son attente. C’est bien la déchirure – quand le fameux voile tombe… il emporte tout. Et la musique inlassablement nous transporte à travers ses états d’âme, avec un orchestre qui relance ou suit, répond ou illustre. Accompagne le voyage de cet être jusqu’à la fin…

 – Le drame résulte souvent d’un détachement avec la réalité sociale où, dans un élan de sauvegarde, le sacrifice de la conscience est obligatoire. Mais c’est quand le rideau tombe sur un spectacle ineffaçable que le drame prend toute ampleur. Qu’on réalise que l’accrochement vertigineux aux principes moraux, éthiques ou amoureux entraine la déchirure et l’exlusion, mais avant-tout, l’injustice. La plus grande balance de la justice n’étant que son contraire, les deux faisant paire. Le choc peut faire mourir, ou renaître. L’art peut créer ce voyage –

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La Monnaie tente ici en engageant la compagnie Hotel Pro Forma de créer une nouvelle version plus contemporaine de cette œuvre. Cette dernière avait précédemment réussi, pour la représentation d’une trilogie d’opéra de Rachmaninov sous le nom de Troïka , à créer une ambiance contemporaine plongeante, avec l’aide de costumes très folkloriques et de projections. Ici, on peut dire que c’est un essai peu convainquant avec cet opéra de Puccini. En effet, donner à son personnage principal la « dépersonnification » d’une poupée rend le fond incohérent. D’autant plus qu’ Alexia Voulgaridou, enlaidie et démonstrative aux devants de la scène en âme punie, nous raconte son histoire à travers une figurine, tandis que sur la scène – son passé où tout le contenu émotionnel devrait nous passer – s’expose dans le minimalisme de tableaux conceptualisés, trop peu soutenus ou parfois même incohérents (une pluie de rouges-gorges en plastique tombant du ciel : faut le faire !). Cette décentralisation du point d’attention, flattée par une explication dans leur programme, nous divise en tant que spectateur : ou nous écoutons la musique passionnée, dont les effets sont fort bien amenés par le chef d’orchestre Roberto Rizzi Brignoli et par notre cantatrice conteuse, dont l’apparence nous interloque certes mais dont la clarté des aigus emballe la salle (même si son timbre n’est pas tout à fait ce qu’on imagine pour notre héroïne) et par les autres chanteurs en écho derrière elle (dont sa suivante habilement chantée par Ning Liang) ou bien on essaie de comprendre où  la mise en scène (car il est presque impossible de suivre les textes et l’action de manière fluide quand on s’interroge autant sur les décors et accessoires) nous mène. Les couleurs des costumes des acteurs voguent entre des gris ternes et des jaunes voire de l’orange. Les kimonos, loin du charme de l’Extrême-Orient sont de matériaux très simples, composés de motifs géométriques. Les Chœurs sont en coulisses, on ne les voit donc jamais, par contre de drôles de défilés de costumes flashant par leur forme (qui font penser aux costumes de Picasso)  débarquent sans raison apparente.

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Un peu de mauvais goût (un bateau de croisière pour le navire de son mari qui revient) qui passe vers du détachement (la rage de Butterfly qui découpe une toile blanche sans propos dans le silence) : on se demande surtout où le drame a sa place. C’est peut-être le manque de sens, de justesse de la mise en scène face à l’opéra qui rend dubitatif. L’histoire touche, quoi qu’il arrive, mais on se sent interrompu par des esquisses d’idées qui n’amènent nulle part. Bref, c’est comme si on voulait s’émouvoir devant un fond blanc. C’est dur. Même s’il y a tout de même une certaine beauté dans les  lumières et l’agencement, il ne semble pas y avoir de fond. La lenteur et la complaisance de cette mise en scène ne colle pas avec la lecture musicale.

Un opéra c’est une œuvre complète – musicale, scénique, théâtrale, sociale. Il renferme de lui-même des codes et des trésors qu’il faut bien maîtriser si on veut pouvoir les retourner, ou les orienter.

Madame Butterfly s’est envolée un peu trop loin tout de même…

Par contre, le plaisir musical de cette œuvre reste intact, tellement il est puissant.

Heureuse de l’avoir réécoutée à Bruxelles (enfin !), elle reste pour moi l’un des incontournables de la culture lyrique. Pour ceci, heureuse d’avoir pu y assister et… impatiente du prochain opéra!

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Plus d’infos sur le site de La Monnaie. Le streaming du spectacle y sera disponible du 22.02.2017 au 14.03.2017!

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