Puz/zle de Sidi Larbi Cherkaoui au Cirque Royal (17-18/12/2016)

00bAmbiance populaire au Cirque Royal pour cette création exigeante. La foule a entendu l’appel… La réputation de ce chorégraphe n’est plus à construire, elle est à méditer. Enfin, à Bruxelles, les gens se sont rués pour acheter toutes les places disponibles.

Assise dans une ambiance joviale, les lumières s’éteignent, une projection fait défiler sans fin des pièces d’une maison … les danseurs arrivent… et BAM ! Se jettent contre ce mur, un par un, comme pris par une folie insurmontable. BAM ! Le premier mur tombe. On découvre une structure de planches géantes, des sortes de murs interchangeables, empilables… des legos à l’échelle humaine. Au fur et à mesure que ces blocs tombent ils construisent des marches vers nulle part.

On se sent pris dans la fougue générale de ces corps qui s’élancent vers un but commun ou un idéal. La musique scande cette enfilade de bras, de jambes, qui se bousculent et se frôlent vers une direction abstraite pour enfin se tordre et dégringoler. Jusqu’à présent, c’est très rythmé, très soutenu. Un chœur de chant arrive… doucement. Acteurs et spectateurs, nous les entendons pousser des harmonies frottant les plaintes, ce qui donne un caractère sous-terrain. Disposés sur la nouvelle construction, un des corps tombe. Tableau foudroyant, le mur s’écarte et nous voyons cet homme souffrant de la chute, martyr. Le mur se referme. Les autres, prenant à la main des pierres, contre toute attente, le lapident. La scène est choquante. Envoûtante par le chœur de voix, en même temps introvertie par la compassion que réveille cette exposition. On ressent l’isolation, le thème de l’ensemble qui pourrait être un groupe, une société, un pays, une doctrine. L’élément rejeté qui doit souffrir ou s’effacer.

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Le souffle reprend. Les pierres en mains… une recherche d’ordre. En danse le chorégraphe nous présente les éléments de groupes que nous pouvons avoir en mains. La force. Les danseurs s’enchaînent, se répondent, se ruent , se tordent comme des pièces impossibles d’un Puzzle qui ne sait pas se finir. Cet homme, isolé, reprend en mains les pierres… les ordonne en ligne. Jusqu’au dernier souffle… jusqu’à ne pas pouvoir mettre la dernière pierre dans la ligne. On est pris par le dedans de nouveau, mais cette fois par son sentiment de perfection, d’infini… donc de pas « fini ». La tête tourne, la dernière pierre se pose par une autre main et nous libère de cette tension.

Autre tableau. Avec ce décor malléable, ils forment un temple grec. On voyage vraiment à travers des époques. Le gris de l’imitation pierre permet de nous faire croire à n’importe quel temps. Danse contemporaine… mouvement par tous côtés. Le puzzle devient de plus en plus bougeant – certaines personnes n’arrivent plus à rester concentrées avec ces mouvements de tous sens. Les danseurs se mêlent en groupes, se démêlent, on assiste quelque part à la transformation sociale ou même politique : l’organisme… À un moment, ils forment même des triptyques organisés. Sautant ensemble, se détachant dans la chorégraphie. Le spectacle parle de la société. On le sent, on le vit. On pourrait donner une personnalité, des mots, des convictions à chacun des sujets. Ils sont neutres, et ensuite personnages un instant.

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L’œil, même averti, peut facilement se perdre. C’est un spectacle qu’on peut revoir, et redécouvrir totalement. Un melting-pot de scènes de danses s’ensuivent, scandées par quelques peintures symboliques. Comme celle de cette tour encadrée par les chanteurs où les danseurs participent avec leur voix. La musique balance entre des chants orientaux et des chants et percussions asiatiques. Une spiritualité de transe de deux côtés du monde. On est perdu. On ne sait plus où cela mène. On se demande où va le concept. À quoi il sert. Et là, on y arrive. Les murs… les tags… la guerre. Violente, cruelle, elle tue sans compter. Un homme peint de blanc se fait aussi tirer. La candeur n’échappe pas. Les murs tombent de nouveaux… offrent un calme de méditation.

Pas encore sûr du message. On se demande tout de même. La méditation est-elle la réponse à cette violence inéluctable ? La pureté est touchée…. Coûte que coûte… mais ne se couche pas, elle tient toujours tête… Fin.

Béatrice De Bock