Scott Mc Kenzie alias Torres était de retour ce vendredi au Witloof après un passage mémorable à la Rotonde il y a une paire d’années. À mon arrivée, un peu avant 20h, Dolly Parton chante qu’elle voudrait toujours t’aimer (« I Will Always Love You ») en musique de fond. On le sent depuis quelques temps, les artistes américain.e.s de la nouvelle génération ont beaucoup moins peur d’assumer qu’iels viennent quand même souvent un peu de la country et de l’americana. Et c’est vrai que sur Silver Tongue, le dernier né de Torres, cette influence transparaît heureusement à quelques reprises dans le rock bruyant de la new-yorkaise.
À 20h20 débarque Torres, accompagnée d’un batteur, d’une claviériste et d’un multi-guitariste (on expliquera le multi plus tard). Les quatre ont le violet aux lèvres, une façon discrète de signifier que sur scène il ne s’agit plus d’une artiste solo mais que l’unité de groupe, l’apport créatif des autres a toute son importance. « Good Scare », sa douleur et sa possible résilience entame le concert. La tension est présente, on la ressent, mais elle ne parvient pas à sortir, comme s’il fallait d’abord le temps de s’installer de prendre la mesure du public, de voir que nous étions là pour la soutenir, pour l’aimer.
Scott est toujours stressée en début de tournée, elle nous le confessera plus tard. Pour le moment elle essaye de se détendre en plaisantant, en souriant. Mais après un « Three Futures » étonnamment anecdotique, « Last Forest » fait vraiment prendre à la soirée une autre dimension. Ce morceau qui sous ses dehors mélodieux dissimule pas mal de folie vénéneuse libère Scott, l’emmène vers l’expression de l’impudeur. Une guitare à jouer assis posé sur un stand balance quelques stridences qui nous font comprendre que le temps n’est plus à la plaisanterie. Le son s’est durci. La voix de Scott crie, hurle, vitupère pour la première fois.
Et c’est alors avec une évidence pleine d’une nouvelle assurance que l’américaine livre une version dantesque de ces trois mini tubes indies que sont « Skim », « Sprinter » et « New Skin ». « Sprinter » particulièrement est joué avec une violence retenue qui explose quand on ne s’y attend pas et nous cueille à froid comme une gifle cruelle, avec une urgence de dire qu’il faut se presser, qu’on n’a pas tout le temps. Scott ne sourit plus, elle est concentrée, elle balance quelques regards hallucinés qui ont à la fois quelque chose d’effrayant et de fascinant. Les guitares se déchaînent, sont méchantes. Et quand elle enchaîne avec « A Few Blue Flowers » on n’est pas certain de l’innocence. On regrette un peu un trop grand effacement du Moog au profit des guitares qu’on trouve maintenant encombrantes. On se dit que cela aurait pu donner encore plus d’ampleur mais aussi un groove rafraîchissant.
« Honey » a été écrite comme elle nous l’explique quand elle a craint que sa girlfriend ne la quitte. Ce soir, celle-ci est dans la salle. Et là, tout devient bouleversant. On sent toutes les craintes, toutes les angoisses de perdre l’amour. C’est une supplique. Pendant la moitié du morceau les musicos font silence. C’est seulement Scott, sa guitare et sa vie. On repère la girlfriend. Elle est émue aussi. Elle filme la magie du moment. On a du mal à imaginer que ce soit aussi intense tous les soirs.
Alors on n’est pas encore remis pour vraiment analyser les deux derniers morceaux du concert. Quelques minutes plus tard on retrouve Torres au merch’. On la remercie de ce moment. Parfois on peut aussi trouver un concert exceptionnel par quelques instants de grâce absolue.
Fripouille